(Photo: Rodrigo Reyes Marin/AFLO/Newscom) (Photo: Rodrigo Reyes Marin/AFLO/Newscom)

Comment stimuler, et non freiner, la croissance mondiale

Christine Lagarde, directrice générale du FMI

Tandis que les ministres des finances et les gouverneurs de banque centrale des pays du G20 se réunissent cette semaine à Fukuoka, ils peuvent s’inspirer de la ville qui les accueille. Connue comme la ville japonaise des « start-ups », Fukuoka a prospéré au cours des dernières décennies en embrassant le commerce, l’innovation et l’ouverture.

Cet esprit est nécessaire plus que jamais pourréduire les tensions commerciales et éliminer les autres obstacles au retour d’une croissance plus élevée et plus durable. L’objectif doit être de stimuler, et non de freiner, la croissance mondiale.

Des signes de stabilisation

En avril, j’ai indiqué que l’économie mondiale se trouvait à un « moment délicat ». Le FMI a abaissé à 3,3 % sa prévision pour la croissance mondiale en 2019, principalement en raison de facteurs temporaires et propres à certains pays, ainsi que des effets tangibles des tensions commerciales. Nous prévoyons aussi une accélération de la croissance au deuxième semestre de l’année, puis en 2020, où elle atteindra 3,6 %, soit le même taux qu’en 2018.

Nous nous attendions à ce que l’activité économique mondiale profite aussi du rythme plus patient de la normalisation de la politique monétaire de la part de la Réserve américaine et de la Banque centrale européenne, ainsi que d’une intensification de la relance budgétaire en Chine. Et de fait, ces réactions ont fourni un soutien crucial au cours des derniers mois, notamment en assouplissant les conditions financières et en accroissant les flux de capitaux vers les pays émergents.

En fait, les données économiques les plus récentes indiquent que la croissance mondiale est peut-être en train de se stabiliser , plus ou moins comme nous nous y attendions. Par exemple, si l’activité économique au premier trimestre a été inférieure aux prévisions dans certains pays émergents d’Asie ou d’Amérique latine, la croissance a été plus vigoureuse que prévu aux États-Unis, dans la zone euro et au Japon.

Il y a donc de bonnes nouvelles. Pourtant, le chemin menant à une croissance plus élevée reste précaire. Pourquoi ?

Des obstacles majeurs

Permettez-moi de mentionner quelques-uns des obstacles majeurs à un rebond de la croissance :

Tout d’abord, l’accélération de la croissance qui est attendue est incertaine . La dynamique observée au premier trimestre dans les pays avancés se maintiendra-t-elle et les progrès attendus précédemment dans certains pays en difficulté se concrétiseront-ils ou prendront-ils plus de temps que prévu ? Quel serait l’impact d’un Brexit sans accord sur la confiance ? Et la hausse récente des prix du pétrole ralentira-t-elle davantage l’activité économique ?

Ensuite, il y a lavulnérabilité fondamentale de l’économie mondiale. Le niveau d’endettement des entreprises, par exemple, a augmenté à tel point qu’une variation soudaine des conditions financières pourrait provoquer des sorties de capitaux déstabilisantes dans les pays émergents.

Nous savons aussi que les perspectives de croissance à moyen terme de nombreux pays sont décevantes, non seulement en raison du vieillissement de leur population et de la faible croissance de leur productivité, mais aussi à cause des effets corrosifs d’inégalités économiques excessives.

Les tensions commerciales s’amplifient

Enfin et surtout, l’impact des tensions commerciales actuelles est de plus en plus préoccupant . Les derniers droits de douane adoptés par les États-Unis et la Chine risquent de peser davantage sur l’investissement, la productivité et la croissance. Les droits de douane que les États-Unis viennent de proposer d’appliquer au Mexique sont inquiétants aussi.

En fait, il semble bien que les États-Unis, la Chine et l’économie mondiale sont les perdants des tensions commerciales actuelles (voir graphique).

Nous estimons que les droits de douane américains et chinois qui ont été annoncés récemment ou qui sont envisagés pourraient amputer le PIB mondial de 0,3 % environ en 2020, plus de la moitié de cet impact résultant des effets sur la confiance des chefs d’entreprise et du sentiment négatif des marchés financiers.

Globalement, nous estimons que les droits de douane américains et chinois, y compris ceux appliqués l’an dernier, pourraient réduire le PIB mondial de 0,5 % en 2020 (voir graphique, plage inférieure). Cela signifie une perte d’environ 455 milliards de dollars, soit plus que la taille de l’économie sud-africaine.

Il faut éviter ces blessures auto-infligées. Comment ? En éliminant les obstacles au commerce qui ont été mis en place récemment et en évitant d’en établir d’autres, quelle que soit leur forme.

Le fait est que non seulement les mesures protectionnistes nuisent à la croissance et à l’emploi, mais elles accroissent aussi le prix des biens de consommation échangeables et frappent de manière disproportionnée les ménages à faible revenu.

Le G20 peut aider

Donc, comment les dirigeants du G20 peuvent-ils contribuer à éliminer ces obstacles et à favoriser un rebond de la croissance ?

Dans l’immédiat, la priorité consiste à résoudre les tensions commerciales actuelles, tout en accélérant la modernisation du système commercial international. Il s’agit de dégager un consensus international sur la façon de renforcer les règles de l’OMC, notamment en ce qui concerne les subventions, la propriété intellectuelle et le commerce de services. L’objectif est de créer un système commercial plus ouvert, plus stable et plus transparent, un système qui soit bien équipé pour satisfaire les besoins économiques du XXIe siècle.

Par exemple, des études du FMI montrent qu’une libéralisation du commerce des services pourrait accroître le PIB mondial d’ environ 350 milliards de dollars à long terme. Ces types de gains sont cruciaux pour que le commerce contribue à relever le niveau de vie et à créer de nouveaux emplois assortis de salaires plus élevés.

Tandis que les pays réparent le système commercial, ils doivent aussi coopérer pour réformer la fiscalité internationale des entreprises, renforcer le dispositif mondial de sécurité financière et s’attaquer à la menace existentielle du changement climatique.

Renforcer la résilience et l’inclusion

Par ailleurs, nous devons reconnaître que bon nombre de pays disposent d’une marge de manœuvre limitée car leur dette publique est élevée et les taux d’intérêt sont bas. Ils devront donc calibrer avec soin leur politique budgétaire afin de trouver le juste équilibre entre croissance, viabilité de la dette et objectifs sociaux.

Nous devons aussi nous attaquer aux perturbations qui sont causées par le commerce et l’innovation technologique, tout en redoublant d’efforts pour soutenir ceux qui sont laissés pour compte.

Et nous avons besoin de davantage de réformes structurelles, qu’il s’agisse de réduire les obstacles à l’entrée sur le marché des services aux particuliers et à l’accès aux professions libérales, ou d’encourager une plus grande participation des femmes au marché du travail. Bien entendu, chaque pays adaptera ses réformes à ses besoins, mais nous estimons que ces types de mesures, si elles sont mises en œuvre conjointement, pourraient accroître le PIB du G20 de 4 % à long terme .

Et surtout, les réformes structurelles rendraient aussi la croissance plus résiliente et plus inclusive.

Coordonner si la croissance fléchit

Alors même que nous cherchons à accélérer la croissance de cette manière, les pays doivent se demander ce qu’il convient de faire si elle fléchit.

Lorsqu’arrivera le prochain ralentissement, qui est inévitable, les dirigeants devront peut-être utiliser tous les leviers de politique économique pour optimiser leur effet combiné. Il s’agira de soutenir la demande au moyen de mesures énergiques d’assouplissement monétaire et de relance budgétaire dans la mesure du possible. Il s’agira aussi d’utiliser ces mesures pour accroître l’impact des réformes structurelles là où la demande est faible.

Notre note au G20 simule un choc économique et les ripostes des pouvoirs publics (voir graphique, plage supérieure). Dans un scénario, si tous les leviers de politique économique sont utilisés, la production du G20 se redresse sensiblement plus vite et plus durablement.

Par ailleurs, la coordination ne doit pas s’arrêter à la frontière. Notre simulation d’un ralentissement montre que, si tous les pays agissent de manière résolue pour stimuler leur propre croissance, les effets d’entraînement positifs se renforcent. Et si chacun cherche à accélérer sa croissance, chacun bénéficie des efforts consentis par les autres, l’effet global étant bien plus marqué (voir graphique, plage inférieure).

Conclusion

Bien entendu, la coopération internationale n’est pas nécessaire uniquement en cas de ralentissement. Elle est cruciale à l’heure actuelle parce que tous les pays restent confrontés à une situation délicate. Comme le dit un proverbe japonais, « traverse une rivière peu profonde comme si elle était profonde ».

Pour les pays du G20, traverser la rivière signifie travailler en partenariat pour favoriser l’accélération attendue de la croissance, et non l’entraver .

En mobilisant l’esprit d’ouverture de Fukuoka, les dirigeants peuvent contribuer à éliminer les obstacles et à placer l’économie mondiale sur une trajectoire de croissance plus durable et plus inclusive.